CHAPITRE VIII
Sur Eol Sha la nuit n’offrait aucun repos. Les ténèbres luttaient contre la lueur orangée du volcan en activité, l’éclat pastel de la Nébuleuse du Chaudron et la lune trop proche, et le sifflement des geysers déchirait sans cesse le silence.
Dans le module de stockage où Gantoris l’avait installé, Luke était seul. Jamais prévu pour recevoir des habitants, l’endroit n’offrait aucun confort. Une bassine d’eau croupie tenait lieu de salle de bains et un tas de paille couvert de tissu faisait office de lit.
Gantoris avait pris un malin plaisir à préciser à Skywalker que c’était l’aire de jeu préférée du petit garçon décédé.
Les réfugiés lui reprochaient peut-être de ne pas avoir sauvé les deux enfants. A moins que Gantoris n’ait souhaité entretenir une certaine confusion chez son visiteur.
S’il décidait de s’échapper, Luke avait son sabrolaser et ses pouvoirs de Jedi. Mais il n’était pas venu sur Eol Sha pour cela.
Le menton posé sur ses poings, il regardait la nuit hostile par une fenêtre. Il devait convaincre Gantoris de l’écouter, afin qu’il voie la nécessité de réunir des Chevaliers Jedi… Pourquoi un membre d’une colonie isolée, sans conception de la politique galactique, s’intéresserait-il à son académie ?
Si l’homme descendait réellement de Ta’ania, Luke devait parvenir à le convaincre.
Quand les colons rentrèrent dans leurs quartiers pour la nuit, Warton lui apporta à manger.
Le Jedi pouvait quitter l’endroit maudit, retourner à sa navette et se nourrir de ses propres rations s’il le désirait.
Mais il ne voulait pas partir tant que Gantoris n’aurait pas accepté de l’accompagner.
Il mangea en silence.
– Venez avec moi.
La silhouette de Gantoris se découpa dans l’encadrement de la porte.
Sa transe interrompue, Luke cligna des yeux, surpris de voir la lumière grise du matin filtrer par les fissures du module préfabriqué.
Sans un mot, il se leva et sortit.
Gantoris portait l’uniforme fané d’un capitaine de la marine marchande. Il n’était pas à sa taille, mais il l’arborait avec fierté. La tenue avait dû passer dans sa famille de génération en génération.
– Où allons-nous ? demanda Skywalker.
L’homme lui tendit un sac de toile et en jeta un pardessus son épaule.
– Chercher à manger.
Il se dirigea vers le champ de geysers.
Luke le suivit sur le terrain accidenté, évitant les jets de vapeur. La planète vibrait sous l’effet des phénomènes sismiques.
Malgré sa démarche altière, Skywalker sentait une certaine incertitude en Gantoris. Il jugea le moment idéal pour lui présenter la Force et ses pouvoirs.
– Vous devez avoir entendu parler de l’ordre des Chevaliers Jedi, commença-t-il. Pendant mille générations, il a servi de gardien et de médiateur à l’Ancienne République.
« Je crois qu’un de vos ancêtres – Ta’ania – était la fille d’un Jedi. C’est pourquoi je suis venu. Elle faisait partie des colons qui ont fondé la communauté d’Eol Sha.
« L’Empereur a envoyé ses assassins exterminer les Jedi, mais je ne pense pas qu’il ait pu retrouver tous leurs descendants. L’Empire a été renversé ; la Nouvelle République a besoin de l’ordre des Chevaliers Jedi. (Il marqua une pause.) J’aimerais que vous en fassiez partie.
Il saisit Gantoris par l’épaule. L’autre le repoussa.
La voix de Luke se fit presque suppliante :
– Je veux vous montrer les pouvoirs de la Force, les portes infinies qu’elle peut ouvrir. Avec cette nouvelle puissance, vous aurez une perception différente de la Galaxie. Je promets de conduire les colons sur un autre monde, qui leur paraîtra un paradis après l’enfer d’Eol Sha.
Gantoris le fixa d’un regard impassible :
– Les empires et les républiques ne signifient rien pour moi. Qu’ont-ils fait pour les miens ? Mon univers est ici, sur ce monde.
Il s’arrêta devant un geyser endormi et jeta un coup d’œil dans les profondeurs du puits. Une odeur d’œufs pourris flottait dans l’air du matin. Le colon sortit de son sac un bloc-notes informatique et le consulta.
– Ici. Nous allons descendre dans le geyser pour la cueillette.
Luke ouvrit de grands yeux :
– Cueillir quoi ?
Sans répondre, Gantoris s’engouffra dans le trou. Skywalker se débarrassa de sa cape pour le suivre. L’autre homme mettait-il sa résolution à l’épreuve ?
Dans l’étroit conduit, des dépôts colorés de minéraux scintillaient sur les parois.
Gantoris se glissa dans une crevasse horizontale.
– Que dois-je faire ? demanda le Jedi.
Le colon ouvrit son sac :
– Fouillez les fissures noires, celles qui sont protégées du passage de l’eau. (Gantoris montra l’exemple, retirant du trou une poignée de fibres caoutchouteuses.) Avec la chaleur et les dépôts minéraux, c’est l’endroit propice pour la croissance du lichen. Après traitement, nous pouvons le rendre comestible. Pour survivre, mon peuple se contente de ce qu’il trouve.
Luke obéit, explorant les crevasses de sa main cybernétique. Autant éviter tout problème si quelque chose rôdait.
Son compagnon avait une intention qu’il ne parvenait pas à analyser. Gantoris cherchait-il un moyen d’éliminer « l’homme noir » de ses rêves ?
Au troisième essai, Luke trouva une poignée de lichen, qu’il arracha.
– Mieux vaut se séparer, dit le colon. Si vous restez près de moi, vous récolterez ce qui reste dans mes fissures. Ce n’est pas ainsi que je nourrirai mon peuple. (Un sourire apparut aux coins de sa bouche.)
A moins que votre Force ne puisse miraculeusement créer un banquet ?
Luke s’intéressa à une autre crevasse. Le colon continua son labeur. Skywalker sentit un malaise le gagner.
Le lichen n’était pas difficile à repérer ; le Jedi remplit rapidement son sac. Peut-être Gantoris avait-il prévu qu’il se perde dans les tunnels.
Malgré sa désorientation, Luke pouvait revenir sur ses pas. Décidant qu’il avait accompli sa tâche, il fit volte-face.
Quand il atteignit le passage où ils s’étaient séparés, Gantoris avait disparu. Il s’enfonça dans le conduit, s’attendant à un piège. Confiant, il ne doutait pas de pouvoir impressionner le colon.
Le passage se terminait en cul-de-sac. La puanteur sulfureuse était plus forte que jamais. Luke dut lutter contre la claustrophobie.
Il se souvint des deux enfants ensevelis sous l’avalanche, du sang qui coulait sur les pierres. Autour de lui, la terre vibrait d’une énergie meurtrière...
Que se passerait-il si un séisme survenait pendant qu’il se trouvait dans les entrailles du geyser ?
Le colon demeurait invisible.
– Gantoris !
Aucune réponse.
Jetant un coup d’œil vers la surface, il vit la silhouette de l’homme se découper sur le cercle de ciel. Il grimpait à toute allure, abandonnant Skywalker à un sort peu enviable.
Il fuyait quelque chose.
Le Jedi sentit – plus qu’il n’entendit – la pression augmenter au cœur de la planète.
Gantoris avait sur lui un bloc-notes informatique.
Les geysers devaient exploser à intervalles réguliers. Il voulait faire mourir Luke dans les tunnels, brûlé par les eaux bouillonnantes et la vapeur.
Skywalker grimpa à son tour.
La chaleur augmenta, rendant l’ascension difficile. La vapeur semblait émaner des pores de la pierre.
Son pied glissa ; Luke faillit tomber.
Sa main cybernétique se referma sur une arête, stoppant sa chute. Quand il recouvra l’équilibre, la pierre se descella de la paroi.
Il avait perdu de précieuses secondes.
Au-dessus de lui, le ciel lumineux l’appelait. Brièvement, il aperçut une tête en haut du puits.
Gantoris.
Il n’offrit pas de l’aider.
Luke grimpa.
Puis ce fut l’explosion, loin dessous. Le rugissement de l’eau bouillante signala qu’elle affluait à la surface.
Le Jedi sut qu’il n’aurait pas de seconde chance. A plusieurs reprises, il avait accompli ce tour dans la Cité des Nuages de Bespin, ou durant son entraînement avec Yoda. A rapproche du jet d’eau meurtrier, il rassembla ses forces, se concentra, et bondit hors du puits avec l’aide de la Force.
Il jaillit du conduit, et roula sur le sol.
Une seconde plus tard, une colonne de vapeur le suivit. Luke se protégea le visage, attendant le retour au calme.
Quand il se releva, Gantoris et les colons d’Eol Sha vinrent vers lui, aussi taciturnes qu’à leur habitude.
Ils avaient voulu sa perte.
La colère de Luke s’envola rapidement. Après tout, n’avait-il pas défié Gantoris, lui proposant de le tester pour prouver ses bonnes intentions ?
Le Jedi ramassa sa cape, et attendit le groupe.
Les bras croisés sur la poitrine, Gantoris hocha la tête :
– Vous venez de réussir le premier test, homme en noir. A présent, il faut affronter le second.
Luke sentit l’impatience et la terreur du candidat Jedi.
Les colons s’emparèrent de lui sans qu’il résiste, décidé qu’il était à prendre tous les risques pour réunir les Chevaliers.
Il espérait que le résultat en vaudrait la peine.
Cela rappelait une procession religieuse.
Gantoris en tête, le peuple d’Eol Sha entama une longue marche sur les pentes menant aux crevasses constellant les coulures de lave.
Luke avançait fièrement, déterminé à ne pas trahir sa peur, malgré les intentions belliqueuses des colons. En dépit de son entraînement de Jedi, le danger était réel.
La lune oppressante suspendue au-dessus de sa tête évoquait une gigantesque épée de Damoclès.
Des colonnes de lave pétrifiée saillaient de la colline comme des dents pourries…
Gantoris s’arrêta aux abords d’une ouverture ménagée dans la paroi du volcan.
– Suivez-moi, ordonna-t-il à Luke.
Les autres continuèrent leur chemin.
Skywalker entra dans la caverne derrière Gantoris. Il avait besoin de gagner son respect, sinon sa confiance. Dans ces circonstances, il ne pouvait qu’obéir.
Le colon s’enfonça dans les profondeurs de la terre. Devant lui, une lueur orangée éclairait les parois.
Le tunnel finissait abruptement au-dessus d’un lac de feu bouillonnant.
Luke baissa la tête, tentant de se protéger le visage de sa capuche. Gantoris ne parut pas remarquer le changement de température.
De l’autre côté du lac, le groupe de colons arriva.
Tous les regards étaient rivés sur le Jedi.
Gantoris dut élever la voix pour couvrir les grondements du magma.
– Marchez sur le feu, homme noir. Si vous parvenez de l’autre côté sans encombre, je vous permettrai de m’enseigner ce que vous voulez.
Sans attendre de réponse, le chef des colons disparut dans le tunnel.
Le Jedi le fixa… Etait-il sérieux ? Il remarqua des objets sombres dépassant de la lave en fusion.
Des pierres !
Le chemin restait précaire.
Gantoris cherchait-il à éprouver son courage ?
Que voulait-il et que signifiaient ses histoires d’« homme noir » démoniaque ?
Luke déglutit, la gorge sèche comme du parchemin.
Il avança au bord du lac de lave.
Les pierres l’attendaient.
Son instinct lui hurlait de faire demi-tour et de fuir.
Il trouverait d’autres candidats. 6PO et D2 avaient dû lever plusieurs pistes. Il avait une personne à voir sur Bespin.
Luke n’avait même pas pu tester Gantoris ; pourquoi risquer sa vie pour quelqu’un qui n’avait peut-être pas le potentiel d’un Jedi ?
Parce qu’il le devait.
Former un nouvel ordre de Chevaliers Jedi serait difficile. S’il renonçait à la première difficulté, comment pourrait-il être digne de cette tâche ?
La chaleur tournoyait autour de lui.
Approchant du feu, Luke leva les yeux vers le cercle irrégulier de ciel.
Il posa le pied sur la première pierre.
Elle supportait son poids.
Skywalker regarda droit devant lui.
Sur l’autre rive, les colons l’observaient.
La lave bouillonnait autour de lui, vomissant des gaz toxiques. Il respira plus lentement.
Il fit un nouveau pas.
L’autre rive paraissait si lointaine !
Clignant des yeux pour évacuer des larmes d’irritation, il compta les pierres.
Encore quatorze !
Luke avança.
Gantoris rejoignit les autres réfugiés d’Eol Sha. Le silence était palpable, seulement troublé par les grognements des forces telluriques.
Un autre pas.
Autour de lui, la lave gargouillait comme le ventre d’une bête fantastique.
Skywalker passa sur une autre pierre, puis encore une autre.
Un soupçon d’espoir monta en lui. Ce n’était pas aussi difficile qu’il l’avait craint. Il réussirait l’épreuve.
Rassuré, il approcha du milieu du lac en accélérant le pas.
Alors le magma s’anima, comme si quelque chose nageait sous la surface. La chambre volcanique résonna d’un son sourd et étrange.
Skywalker se raidit, s’apprêtant à affronter l’horreur qui, il le sentait, allait surgir.
Quelque chose vivait dans le lac de lave.
Quelque chose bougeait.
Soudain, une créature reptilienne jaillit du magma.
Le serpent de feu avait une tête triangulaire et des oreilles pointues. Des écailles cristallines couvraient son corps, brillant de mille éclats à la lumière du feu. Ses grands yeux étaient des joyaux baignés d’une lueur interne.
Pour ne pas tomber, il fallait maintenir un équilibre précaire sur la pierre, puis bondir vers la suivante. Le serpent se dressa derrière Luke ; il sut qu’il ne le distancerait pas.
Il s’arrêta.
D’instinct, il dégaina son sabrolaser et l’activa.
La luminosité verte de la lame contrastait avec l’éclat orange de la caverne.
Sur l’autre rive du lac, le peuple d’Eol Sha observait la scène d’un air détaché.
L’être de feu fixa Luke de son regard de vipère. Il ouvrit une grande gueule métallique et cracha de la lave.
Luke brandit son sabrolaser ; il lui parut ridiculement petit pour combattre un dragon.
Avec un cri, le monstre plongea sous le magma, projetant des gerbes de lave à la surface du lac.
Skywalker dansa de pierre en pierre pour esquiver l’averse brûlante. La lave enflamma sa cape ; il s’en défit à temps.
Il brandit son sabrolaser.
Les yeux écarquillés, il sonda la surface, tentant de repérer la créature avec ses sens de Jedi.
– Où es-tu ? murmura-t-il.
La tête du serpent jaillit derrière lui, prête à frapper. Elle plongea sur sa victime, révélant des crocs acérés aussi grands que des stalactites.
Le Jedi réagit en un éclair ; il bondit sur une autre pierre et frappa.
Lorsque la vibrolame toucha les écailles de silice, l’énergie verte ricocha dans toute la caverne. Une pluie d’étincelles s’abattit sur Skywalker.
Censée découper n’importe quelle matière, la lame avait à peine entamé une écaille.
Sur l’autre rive, les colons d’Eol Sha plongèrent au sol pour esquiver les échardes d’énergie verte.
Luke comprit qu’utiliser son sabrolaser contre le monstre serait inutile.
Le serpent hurla de surprise, plus que de douleur, puis il plongea.
Le Chevalier reprit son souffle ; que faire ? Il décida de courir.
La créature pouvait revenir à tout instant ; il ignorait de combien de temps il disposait.
Le monstre jaillit, grondant d’une manière indescriptible.
Luke se tourna, prêt à affronter la mort, mais le serpent ne s’intéressait plus à lui.
Des volutes de fumée fusèrent de l’entaille provoquée par le sabrolaser… La lave s’était introduite dans le corps du monstre par l’étroite ouverture.
Le magma dévorait ses entrailles comme de l’acide, le rongeant de l’intérieur. Quand il atteignit ses poumons, la créature explosa.
Une pluie de lave s’abattit sur le Jedi, qui parvint à en dévier la majeure partie grâce à la Force, s’en tirant avec de vives brûlures au dos et au bras.
Ce qui restait du serpent fut englouti par le lac.
Skywalker se tourna vers l’autre rive.
Il n’en crut pas ses yeux : le peuple d’Eol Sha attendait toujours, impassible.
Dans la bataille, les pierres avaient été couvertes de magma. Il ne pouvait poursuivre sa traversée.
Tremblant de terreur et de fatigue, il fixa la rivière de lave qui le séparait du but et de la vie.
Il pensa au potentiel de son académie, au retour des Chevaliers Jedi.
La Nouvelle République avait besoin de lui.
Il devait tenir sa promesse : rassembler des candidats pour leur enseigner l’utilisation de la Force.
Sans que le moindre doute effleure son esprit, il ferma les yeux.
Luke marcha sur le lac de feu.
Il n’y pensa même pas.
La lave refusait de toucher ses pieds.
Seule la Force crépitait autour de lui.
Un pas après l’autre, il traversa la roche en fusion, s’obligeant à fixer son objectif jusqu’à ce que ses pieds touchent l’autre rive, près de Gantoris et de son peuple.
Lorsqu’il y parvint, il faillit soupirer de soulagement. Mais il ne pouvait se permettre de trahir une émotion.
Il essaya d’oublier ce qu’il venait d’accomplir.
Emerveillé, Gantoris se tenait devant lui. Les autres reculèrent.
Le colon déglutit :
– Je tiendrai ma promesse… Apprenez-moi comment utiliser le mystérieux pouvoir qui est en moi.
Sans hésiter, Skywalker tendit les mains pour toucher les tempes de Gantoris. Sa sonde mentale atteignit le centre instinctif de son cerveau…
La force de son réflexe fut telle que Luke manqua tomber à la renverse dans le lac.
Gantoris avait le potentiel pour devenir un grand Jedi.
La terreur, les épreuves…
Tout cela s’était avéré utile.
Luke prit la main de Gantoris, et se tourna vers les colons :
– Nous trouverons une nouvelle planète pour votre peuple. Mais d’abord, vous devrez m’accompagner sur Coruscant.